Les rencontres nationales du numérique

Arseni Mourzenko
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November 14, 2014
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Le 13 no­vem­bre à Poitiers se sont déroulés les ren­con­tres na­tionales du numérique, un événe­ment or­gan­isé par l'as­so­ci­a­tion Réseau des pro­fes­sion­nels du numérique (SPN). Un événe­ment in­téres­sant aus­si bien en ce qui con­cerne les su­jets abor­dés que les speak­ers présents.

Arnaud Hacquin, Transmedia
Ar­naud Hac­quin, Trans­me­dia

Speak­ers

J'étais per­son­nelle­ment agréable­ment sur­pris par la ma­jorité des speak­ers. Gens qual­i­fiés et sou­vent con­nus dans le mi­lieu, beau­coup sont venus des autres villes pour présen­ter les su­jets qui les in­téressent. Les deux plénières étaient an­i­mées par Philippe Lemoine et Gilles Babi­net et ont été par­ti­c­ulière­ment in­téres­santes.

Gilles Babinet, L'entreprise digitalisée après 2020
Gilles Babi­net, L'en­tre­prise dig­i­tal­isée après 2020

La présence d'uni­ver­si­taires et des représen­tants de l'École 42 était égale­ment ap­pré­cia­ble, et dans l'en­sem­ble, les speak­ers des dif­férentes en­tre­pris­es étaient bien choi­sis égale­ment. Les en­tre­pris­es telles que Mi­crosoft étaient égale­ment présentes, mais étaient, il me sem­ble, en dé­calage avec l'es­prit de la con­férence.

Point ap­pré­cia­ble égale­ment, la présence d'une fa­blab éphémère qui présen­tait les im­p­ri­mantes 3D, mais aus­si des choses telles que la soudure de fi­bre op­tique.

Imprimante 3D au fablab éphémère
Im­p­ri­mante 3D au fa­blab éphémère

Su­jets

Les su­jets étaient très peu tech­niques—pas dans le sens né­gatif, mais plutôt dans le sens que toute per­son­ne avec un pro­fil non-tech­nique pou­vait aisé­ment suiv­re l'en­sem­ble des su­jets, à la dif­férence des con­férences ori­en­tées IT, comme Tech­Days. La ma­jorité des su­jets in­vi­taient à la réflex­ion sur le monde de de­main : les en­jeux économiques du numérique, l'in­flu­ence du numérique sur l'en­seigne­ment, la ville de de­main, etc. Per­son­nelle­ment, je n'avais pas con­nu d'autres con­férences qui à la fois fai­saient l'état des prob­lé­ma­tiques aux­quelles se con­fronte le numérique, pro­po­saient la réflex­ion sur les so­lu­tions et met­taient le numérique dans le con­texte citoyen.

En re­vanche, il était très re­gret­table de con­stater un dé­calage en­tre l'es­prit de cette journée (et cer­taines con­férences en par­ti­c­uli­er) et la réal­ité des choses, du moins pour ce qui est de la ré­gion Poitou-Char­entes. Ceci sera un point sur lequel je veux m'at­tarder tout par­ti­c­ulière­ment.

Dé­calage avec la réal­ité

Gaë­tan Ju­vin, di­recteur péd­a­gogique de l’École 42, a com­mencé son dis­cours par un con­stat : les lan­gages de pro­gram­ma­tion évolu­ent rapi­de­ment avec la durée de vie moyenne de cinq ans, ce qui fait qu'il y a une forte de­mande des pro­gram­meurs sur le marché du tra­vail, mais peu de pro­gram­meurs qui savent ap­pren­dre les nou­veaux lan­gages. Per­son­nelle­ment, c'est tout l'in­verse de ce que je con­state en France d'une manière générale et à Poitou-Char­entes en par­ti­c­uli­er.

Tout d'abord, la durée de vie de cinq ans vient d'une in­ter­pré­ta­tion er­ronée des don­nées. S'il est ques­tion du marché de l'em­ploi, il faut pren­dre en compte la pop­u­lar­ité d'un lan­gage, autrement dit son car­ac­tère main­stream. Lorsqu'on prend en con­sid­éra­tion les lan­gages main­stream, qu'est-ce que l'on voit ?

et si on y in­clut la com­mu­nauté sci­en­tifique :

Dès lors, on ob­tient la moyenne de trente ans, nom­bre très dif­férent de celui mis en avant par Gaë­tan Ju­vin.

Le plus grand prob­lème, en re­vanche, ce n'est pas tant les mau­vais nom­bres, que l'ac­cent sur les pro­gram­meurs. Pour moi, ce n'est pas tant les pro­gram­meurs qui ne savent pas s'adapter à l'évo­lu­tion tech­nologique, que les en­tre­pris­es, et c'est ex­acte­ment là que Gaë­tan Ju­vin et moi avons une ap­proche com­plé­men­taire. Si pour lui, ce sont les pro­gram­meurs qui ont be­soin d'être en­seignés dif­férem­ment (par ex­em­ple pour être ca­pa­bles d'ap­pren­dre seuls un nou­veau lan­gage), je me con­cerne da­van­tage sur l'éd­u­ca­tion des gens qui ont pour tâche à em­bauch­er les pro­gram­meurs.

Le prob­lème cru­cial en France et prob­a­ble­ment en Inde et dans les pays de l'Afrique, c'est la dif­fi­culté des en­tre­pris­es à com­pren­dre et à ac­cepter l'évo­lu­tion tech­nologique. Une grande par­tie des en­tre­pris­es à Poitou-Char­entes tra­vaille avec WinDev et n'a ja­mais su s'ap­pro­prier tout ce qui s'est passé aux États-Unis depuis les an­nées soix­ante en ce qui con­cerne la ges­tion des pro­jets, l'in­fra­struc­ture, les rap­ports hiérar­chiques au sein de l'en­tre­prise, etc. Ils ont en­ten­du par­ler de l'Ag­ile, mais n'ont ja­mais com­pris ce que c'est. Ils ont en­ten­du par­ler de Cloud, mais n'en savent rien, si ce n'est que « c'est dan­gereux », bien qu'ils ne sauront ja­mais ex­pli­quer en quoi il est plus dan­gereux de stock­er les don­nées dans le cloud que le faire dans le pseu­do-data clos­et de l'en­tre­prise.

Et c'est là aus­si que se créé un écart en­tre ce genre de con­férences et le quo­ti­di­en. Pen­dant la con­férence sur les smart cities, il était par ex­em­ple ques­tion des ini­tia­tives telles que FixMyS­treet lon­donien. Deux heures plus tôt, j'ai dû mon­ter au cinquième étage du park­ing de la gare, parce que l'un des as­censeurs ne mar­chait pas, et l'autre ne s'ar­rê­tait pas à mon niveau, puisque le pre­mier y était déjà. Trois heures plus tard, j'étais face à un es­ca­la­tor de la gare qui ne fonc­tionne pas non plus. Dé­fail­lances ac­cept­a­bles, si ce n'est que les es­ca­la­tors ne marchent pas d'une manière régulière et qu'il n'y a à Poitiers au­cune ini­tia­tive ana­logue à ce qui se passe à Lon­dres. Au mo­ment de l'écri­t­ure de l'ar­ti­cle, au­cune ville française n'utilise FixMyS­treet.

Cet écart était d'au­tant plus vis­i­ble lors de la « table ronde » (qui n'était en rien une table ronde, mais une sim­ple présen­ta­tion suc­ces­sive des en­tités représen­tées par cinq speak­ers) où étaient présents le représen­tant de la ville et celui de la Poste. Ces gens-là y croient être « au sein de l'in­no­va­tion », et leur par­tic­i­pa­tion à ces con­férences ne fait qu'al­i­menter leur croy­ance. Dès lors, leur dis­cours est d'au­tant plus en dé­calage avec les ac­tions des en­tités qu'ils représen­tent.

Ex­em­ple basique, la per­son­ne de la Poste se van­tait que la Poste a été à l'orig­ine d'un moyen de paiement spé­ci­fique. Ce qu'elle ou­blie, c'est que l'ac­tiv­ité prin­ci­pale de la Poste doit être de livr­er les let­tres et co­l­is, et que dans ce do­maine, la Poste, à dé­faut d'in­nover, au­rait pu au moins faire les ef­forts de copi­er ce que les améri­cains tels que UPS font depuis des an­nées.

Autre ex­em­ple, Vi­tal­is a été à un mo­ment cité comme ex­em­ple, avec la sor­tie ré­cente de l'ap­pli­ca­tion pour smart­phones qui af­fiche la sta­tion la plus proche et les ho­raires. En 2014, il me paraît aber­rant d'en être tout fier d'avoir sor­ti une ap­pli­ca­tion on ne peut plus basique qu'un je­une ayant fait un peu de développe­ment pour mo­biles peut faire en un week­end.

En con­clu­sion, ce genre de con­férences, tout en étant in­téres­santes, doit être placé mieux dans le con­texte. Il est in­téres­sant et peut-être même utile de par­ler des villes in­tel­li­gentes et des tech­nolo­gies de de­main, mais il est in­dis­pens­able égale­ment d'avoir une vi­sion pré­cise de la sit­u­a­tion actuelle des choses. La présence des élus lo­caux, dans ce con­texte, est tout à fait né­faste, puisqu'elle les en­cour­age à avoir une vi­sion er­ronée de la ville d'au­jourd'hui.

Se con­cen­tr­er sur l'état actuel des choses au­rait égale­ment un avan­tage con­sid­érable : plutôt que de se croire au cœur de l'in­no­va­tion, la con­science du re­tard dans le développe­ment peut pouss­er da­van­tage les dif­férents ac­teurs à voir ce qui se passe dans les pays plus avancés, comme les États-Unis, le Japon et le Cana­da, et de copi­er les bonnes choses.

Ob­serv­er et copi­er

Ob­serv­er et copi­er, ce sont les deux choses que doivent faire da­van­tage les en­tités français­es, faute d'avoir suff­isam­ment d'ex­per­tise dans un do­maine. Ce con­seil s'ap­plique aus­si bien à la Poste qui au­rait pu s'in­spir­er de la lo­gis­tique beau­coup plus évoluée de l'UPS, qu'aux en­tre­pris­es de développe­ment des logi­ciels qui ont sou­vent un re­tard de plusieurs dé­cen­nies, qu'aux villes comme Poitiers.

D'ailleurs, on re­mar­que ce re­gret­table manque d'ob­ser­va­tion et de copie à tous les niveaux. Prenons par ex­em­ple l'or­gan­i­sa­tion des con­férences, et no­tam­ment les er­reurs d'or­gan­i­sa­tion qui ont été com­mis­es.

Il y en avait les er­reurs telles que la présence des stands de­vant l'en­trée de la salle prin­ci­pale, blo­quant ain­si très forte­ment le pas­sage du pub­lic—er­reur que je trou­ve ac­cept­able, eu égard à la com­plex­ité de l'or­gan­i­sa­tion et le nom­bre d'or­gan­isa­teurs.

Par con­tre, l'er­reur que je trou­ve beau­coup plus dérangeante, c'est d'avoir util­isé Weezevent avec un bil­let par con­férence, chaque bil­let oc­cu­pait une feuille en­tière et com­por­tant un code barre à scan­ner à l'en­trée. Ce qui est dérangeant ici, c'est que soit au­cun des or­gan­isa­teurs n'a été à une ses­sion de con­férences plus im­por­tante comme les Tech­Days, soit ceux qui ont été n'ont pas su copi­er le sys­tème où il n'y a qu'un code barre, celui sur le badge don­né à l'en­trée.