Les rencontres nationales du numérique
Le 13 novembre à Poitiers se sont déroulés les rencontres nationales du numérique, un événement organisé par l'association Réseau des professionnels du numérique (SPN). Un événement intéressant aussi bien en ce qui concerne les sujets abordés que les speakers présents.
Arnaud Hacquin, Transmedia
Speakers
J'étais personnellement agréablement surpris par la majorité des speakers. Gens qualifiés et souvent connus dans le milieu, beaucoup sont venus des autres villes pour présenter les sujets qui les intéressent. Les deux plénières étaient animées par Philippe Lemoine et Gilles Babinet et ont été particulièrement intéressantes.
Gilles Babinet, L'entreprise digitalisée après 2020
La présence d'universitaires et des représentants de l'École 42 était également appréciable, et dans l'ensemble, les speakers des différentes entreprises étaient bien choisis également. Les entreprises telles que Microsoft étaient également présentes, mais étaient, il me semble, en décalage avec l'esprit de la conférence.
Point appréciable également, la présence d'une fablab éphémère qui présentait les imprimantes 3D, mais aussi des choses telles que la soudure de fibre optique.
Imprimante 3D au fablab éphémère
Sujets
Les sujets étaient très peu techniques—pas dans le sens négatif, mais plutôt dans le sens que toute personne avec un profil non-technique pouvait aisément suivre l'ensemble des sujets, à la différence des conférences orientées IT, comme TechDays. La majorité des sujets invitaient à la réflexion sur le monde de demain : les enjeux économiques du numérique, l'influence du numérique sur l'enseignement, la ville de demain, etc. Personnellement, je n'avais pas connu d'autres conférences qui à la fois faisaient l'état des problématiques auxquelles se confronte le numérique, proposaient la réflexion sur les solutions et mettaient le numérique dans le contexte citoyen.
En revanche, il était très regrettable de constater un décalage entre l'esprit de cette journée (et certaines conférences en particulier) et la réalité des choses, du moins pour ce qui est de la région Poitou-Charentes. Ceci sera un point sur lequel je veux m'attarder tout particulièrement.
Décalage avec la réalité
Gaëtan Juvin, directeur pédagogique de l’École 42, a commencé son discours par un constat : les langages de programmation évoluent rapidement avec la durée de vie moyenne de cinq ans, ce qui fait qu'il y a une forte demande des programmeurs sur le marché du travail, mais peu de programmeurs qui savent apprendre les nouveaux langages. Personnellement, c'est tout l'inverse de ce que je constate en France d'une manière générale et à Poitou-Charentes en particulier.
Tout d'abord, la durée de vie de cinq ans vient d'une interprétation erronée des données. S'il est question du marché de l'emploi, il faut prendre en compte la popularité d'un langage, autrement dit son caractère mainstream. Lorsqu'on prend en considération les langages mainstream, qu'est-ce que l'on voit ?
- Java, 1995 - 2015, soit vingt ans,
- C++, 1983 - 2015, soit trente-deux ans,
- C, 1972 - 2015, soit quarante-trois ans,
- JavaScript, 1995 - 2015, soit vingt ans,
- PHP, 1995 - 2015, soit vingt ans,
- ObjectiveC, 1983 - 2015, soit trente-deux ans,
- C#, 2000 - 2015, soit quinze ans,
et si on y inclut la communauté scientifique :
- Fortran, 1957 - 2015, soit cinquante-huit ans.
Dès lors, on obtient la moyenne de trente ans, nombre très différent de celui mis en avant par Gaëtan Juvin.
Le plus grand problème, en revanche, ce n'est pas tant les mauvais nombres, que l'accent sur les programmeurs. Pour moi, ce n'est pas tant les programmeurs qui ne savent pas s'adapter à l'évolution technologique, que les entreprises, et c'est exactement là que Gaëtan Juvin et moi avons une approche complémentaire. Si pour lui, ce sont les programmeurs qui ont besoin d'être enseignés différemment (par exemple pour être capables d'apprendre seuls un nouveau langage), je me concerne davantage sur l'éducation des gens qui ont pour tâche à embaucher les programmeurs.
Le problème crucial en France et probablement en Inde et dans les pays de l'Afrique, c'est la difficulté des entreprises à comprendre et à accepter l'évolution technologique. Une grande partie des entreprises à Poitou-Charentes travaille avec WinDev et n'a jamais su s'approprier tout ce qui s'est passé aux États-Unis depuis les années soixante en ce qui concerne la gestion des projets, l'infrastructure, les rapports hiérarchiques au sein de l'entreprise, etc. Ils ont entendu parler de l'Agile, mais n'ont jamais compris ce que c'est. Ils ont entendu parler de Cloud, mais n'en savent rien, si ce n'est que « c'est dangereux », bien qu'ils ne sauront jamais expliquer en quoi il est plus dangereux de stocker les données dans le cloud que le faire dans le pseudo-data closet de l'entreprise.
Et c'est là aussi que se créé un écart entre ce genre de conférences et le quotidien. Pendant la conférence sur les smart cities, il était par exemple question des initiatives telles que FixMyStreet londonien. Deux heures plus tôt, j'ai dû monter au cinquième étage du parking de la gare, parce que l'un des ascenseurs ne marchait pas, et l'autre ne s'arrêtait pas à mon niveau, puisque le premier y était déjà. Trois heures plus tard, j'étais face à un escalator de la gare qui ne fonctionne pas non plus. Défaillances acceptables, si ce n'est que les escalators ne marchent pas d'une manière régulière et qu'il n'y a à Poitiers aucune initiative analogue à ce qui se passe à Londres. Au moment de l'écriture de l'article, aucune ville française n'utilise FixMyStreet.
Cet écart était d'autant plus visible lors de la « table ronde » (qui n'était en rien une table ronde, mais une simple présentation successive des entités représentées par cinq speakers) où étaient présents le représentant de la ville et celui de la Poste. Ces gens-là y croient être « au sein de l'innovation », et leur participation à ces conférences ne fait qu'alimenter leur croyance. Dès lors, leur discours est d'autant plus en décalage avec les actions des entités qu'ils représentent.
Exemple basique, la personne de la Poste se vantait que la Poste a été à l'origine d'un moyen de paiement spécifique. Ce qu'elle oublie, c'est que l'activité principale de la Poste doit être de livrer les lettres et colis, et que dans ce domaine, la Poste, à défaut d'innover, aurait pu au moins faire les efforts de copier ce que les américains tels que UPS font depuis des années.
Autre exemple, Vitalis a été à un moment cité comme exemple, avec la sortie récente de l'application pour smartphones qui affiche la station la plus proche et les horaires. En 2014, il me paraît aberrant d'en être tout fier d'avoir sorti une application on ne peut plus basique qu'un jeune ayant fait un peu de développement pour mobiles peut faire en un weekend.
En conclusion, ce genre de conférences, tout en étant intéressantes, doit être placé mieux dans le contexte. Il est intéressant et peut-être même utile de parler des villes intelligentes et des technologies de demain, mais il est indispensable également d'avoir une vision précise de la situation actuelle des choses. La présence des élus locaux, dans ce contexte, est tout à fait néfaste, puisqu'elle les encourage à avoir une vision erronée de la ville d'aujourd'hui.
Se concentrer sur l'état actuel des choses aurait également un avantage considérable : plutôt que de se croire au cœur de l'innovation, la conscience du retard dans le développement peut pousser davantage les différents acteurs à voir ce qui se passe dans les pays plus avancés, comme les États-Unis, le Japon et le Canada, et de copier les bonnes choses.
Observer et copier
Observer et copier, ce sont les deux choses que doivent faire davantage les entités françaises, faute d'avoir suffisamment d'expertise dans un domaine. Ce conseil s'applique aussi bien à la Poste qui aurait pu s'inspirer de la logistique beaucoup plus évoluée de l'UPS, qu'aux entreprises de développement des logiciels qui ont souvent un retard de plusieurs décennies, qu'aux villes comme Poitiers.
D'ailleurs, on remarque ce regrettable manque d'observation et de copie à tous les niveaux. Prenons par exemple l'organisation des conférences, et notamment les erreurs d'organisation qui ont été commises.
Il y en avait les erreurs telles que la présence des stands devant l'entrée de la salle principale, bloquant ainsi très fortement le passage du public—erreur que je trouve acceptable, eu égard à la complexité de l'organisation et le nombre d'organisateurs.
Par contre, l'erreur que je trouve beaucoup plus dérangeante, c'est d'avoir utilisé Weezevent avec un billet par conférence, chaque billet occupait une feuille entière et comportant un code barre à scanner à l'entrée. Ce qui est dérangeant ici, c'est que soit aucun des organisateurs n'a été à une session de conférences plus importante comme les TechDays, soit ceux qui ont été n'ont pas su copier le système où il n'y a qu'un code barre, celui sur le badge donné à l'entrée.